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« La loi Macron laisse le champ libre à la créativité dans les études. »

Entretien avec l’avocate Audrey Chemouli sur les incidences concrètes de la loi Macron au sein des étudeS.



Audrey Chemouli est avocate, spécialisée dans les structures d’exercices des professions libérales notamment du droit. Au sein de son cabinet, elle travaille avec des professionnels sur leurs structures, notaires inclus. Selon elle, les structures d’exercice doivent venir donner un véritable sens à l’exercice de la profession. Entretien avec une jeune avocate à la vision rafraichissante !

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?


Je suis avocate en droit des sociétés formée sur des opérations de haut bilan et au cours de mon parcours professionnel, j’ai eu la chance de m’investir dans plusieurs instances. J’ai notamment été élue Présidente de la Commission Structures d’exercice du syndicat des Avocats Conseils d’entreprises. Puis élue membre du Conseil National des Barreaux au sein duquel j’ai pris la présidence de la Commission du Statut professionnel de l’avocat qui a une mission institutionnelle de réponse par des avis techniques aux interrogations des conseils de l'ordre et des bâtonniers portant sur les structures d’exercice des avocats et une mission scientifique de réflexion sur les réformes utiles pour l’exercice de la profession d’avocat.


J’avais donc une vision très technique des structures d’exercice des professionnels libéraux mêlée à ma formation initiale droit des sociétés. Mais c’est au moment du premier confinement que j’ai pris conscience de l’utilité d’un cabinet spécialisé sur les problématiques des professions libérales – différentes des entrepreneurs « classiques ». J’ai compris que la valeur ajoutée que j’avais en terme de connaissance du droit des sociétés - très technique - pouvait être mise au service de la réorganisation de ces professions. La loi Macron a rendu les choses parfois très compliquées à comprendre pour les professionnels du droit. Aujourd’hui nous avons constitué un cabinet avec comme objectif de faire des libéraux que nous accompagnons, des entrepreneurs « comme les autres ». Nous conseillons des professionnels libéraux dans le cadre de leur structuration et notamment en cas de projet interprofessionnel mais en partant de leurs valeurs, de l’idée qu’il se sont fait du cabinet ou de leur étude. Nous essayons de leur transmettre notre vision business et de les inspirer en co-créant un podcast pour, pour l’instant à destination des avocats : Avocats Génération Entrepreneurs.

Vous avez évoqué la loi dite Macron. D’après-vous, qu’est-ce que cette loi a changé dans le monde du notariat ?


La loi Macron a changé énormément de choses pour les notaires comme pour tous les autres métiers du droit. Mais j’aimerais évoquer cette loi en ce qu’elle est le marqueur d’une époque. Avant cette loi, les professionnels ne pouvaient travailler « entre eux ». La loi Macron a permis de créer des sociétés pluri-professionnelles d’exercice, ce qui est une révolution en soi. Si on devait résumer le principe qui gouverne cette société si particulière : toutes les professions doivent continuer à respecter leur déontologie. Cette société fonctionne en silo. Finalement, le gouvernement a laissé beaucoup de latitude aux professionnels pour qu’ils s’associent. Ça laisse le champ libre à la créativité !


J’ajouterais que dans cette même période, on a vu énormément de legaltechs apparaitre sur le marché. Ces jeunes entreprises essaient de répondre aux mêmes problématiques que nous, professionels du droit, et on se retrouve donc avec des offres concurrentes et une manière d’aborder le Droit très différente. Les professions du droit mettent au centre de leur préoccupation la qualité et la technicité du conseil là où, chez les légaltechs, le centre de la réflexion est l’expérience des utilisateurs.


On se retrouve avec une fracture entre les professionnels du droit qui sont persuadés que leur manière de fonctionner, plus technique et précise est celle qui est juridiquement la plus correcte, et les legaltechs qui considèrent que ce n’est pas suffisant, voire même que cela ne répond pas à la demande des utilisateurs.

Je rebondis sur ce que vous disiez sur les sociétés pluri-professionnelles. Ce n’était pas possible, avant la loi Macron, de créer ce genre de sociétés ?


Les professions libérales du droit pouvaient déjà avoir des participations communes au sein de holding, mais elles ne pouvaient pas véritablement travailler ensemble. Elles pouvaient simplement avoir des stratégies de développement communes. La loi Macron a complètement changé cela puisque désormais, les huissiers de justice, avocats, mandataires judiciaires, experts comptables, notaires (10 professions au total) peuvent travailler ensemble.


Pour que la société fonctionne, comme je le mentionnais avant, la loi Macron a envisagé pour ces sociétés communes des exercices en silo. L’exercice n’est commun que pour les clients qui le souhaitent. Pour le reste, seuls des ponts entre les professions sont possibles, comme, par exemple, sur le secret professionnel. En effet, cette loi a permis que pour le besoin de l’activité, et sous réserve que cela soit au bénéfice du client qui en est informé, il peut y avoir des entailles au secret professionnel (des photocopieuses communes par exemple).



D’après vous, quels sont les avantages à travailler ensemble, dans une même structure, pour les professionnels ?


Pour ma part, je suis absolument convaincue de l’intérêt des sociétés pluri-professionnelles d’exercice (les SPE), et je voudrais même l’étendre à d’autres professions non réglementées ! Les confrontations de points de vue sont toujours enrichissantes, même si elles ne sont pas sans heurts.


Il me semble que le fondement originel de cette loi était de mettre au centre de la réflexion le client et c’est quelque chose en quoi je crois profondément. Je suis persuadée que les SPE répondent à un vrai besoin. Il y a une nécessité de fluidifier les informations entre les professionnels du droit.


J’ai eu comme client une étude notariale qui souhaitait constituer une SPE avec des avocats. Nous leur avons présenté différents cabinets d’avocats. Celui qui leur convenait le plus n’avait pas le même rayonnement que leur étude. Les notaires étaient un peu des « shiny people » alors que le cabinet d’avocat rayonnait un peu moins. Il y avait objectivement une différence de poids et de rayonnement entre l’étude et le cabinet d’avocats. Un des notaires associés m’a clairement dit que ces avocats ne conviendraient jamais à leurs « beaux clients ». En gros, cela signifiait qu’il n’avait pas envie de leur présenter ces avocats.


Mais si on présente un avocat en disant à son client que cet avocat est une star - surtout quand c’est effectivement le cas- le client fait confiance ! Finalement, ce que la SPE remet en question, c’est la confiance entre les professionnels. Et c’est pour cela que ça ne fonctionne pas encore assez. Après, cela fait 200 ans qu’on nous explique qu’entre professionnels du droit, nous sommes tous potentiellement concurrents. C’est profondément ancré et c’est difficile de se faire confiance après.


Pourtant, pour le client, cela change tout. Il n’est plus obligé de transférer son dossier, de retrouver les PDF, réexpliquer son histoire, retranscrire les problématiques juridiques à un autre professionnel… Le SPE, c’est pareil pour les clients : les informations sont fluides, transmises directement aux professionnels. C’est ce que nous mettons en avant au cabinet. Nous avons l’habitude de dire que nous sommes « clients centrés ». Nous sommes profondément attachés à l’expérience du client et le SPE est formidable pour cela.

Que pensez-vous des avocats qui quittent le barreau pour aller travailler dans des études notariales ?


Je trouve ça profondément dommage mais par pour les raison que vous croyez. Ce qu’on cherche en embauchant un avocat dans le notariat, c’est justement sa différence. Il faut donc le laisser garder cette originalité, cette différenciation, car c’est exactement ce qu’on recherchait chez lui.


Mais cela relève plus largement du syndrome des PDG qui disent regretter de ne pas avoir plus de projets innovants en interne, alors qu’il y a énormément de strates hiérarchiques qui ne peuvent que décourager les collaborateurs.

La culture de l’innovation, ça se préserve. Comme toutes les valeurs, cela doit rayonner dans l’activité courante de l’entreprise.

Pensez-vous que la culture d’entreprise, les valeurs, sont des notions qui ont leur place dans les études notariales ou dans les cabinets d’avocats ?


Grâce à mes fonctions au sein des instances, j’ai rencontré de nombreux professionnels dont la problématique principale peut se résumer ainsi : « je veux me réapproprier ma structure juridique afin qu’elle serve un propos que je tiens auprès du public et de mes collaborateurs ». Aujourd’hui, les gens ont besoin d’avoir des structures qui donnent véritablement un sens à leur exercice.


C’est à la mode d’avoir des valeurs, c’est cool. Mais si la valeur n’est pas vécue par les clients ou les collaborateurs, ce n’est pas une valeur, c’est juste un mot. La valeur doit se vivre au quotidien. Prenons l’exemple de la transparence qui est une valeur très galvaudée. Si on veut que la transparence soit une véritable valeur au sein de l’entreprise, il faut pousser l’exercice. La transparence pour les clients, c’est faire en sorte qu’ils comprennent ce qu’ils paient : comment les honoraires sont calculés, sur quoi le prix est basé, à quoi correspondent les taxes, etc. La transparence, au sein même des études, c’est permettre à chacun de savoir combien est payé l’autre collaborateur, l’associé, sur quels critères, pourquoi on propose l’association à telle personne,… Ce sont des exemples typiques de ce qu’est la transparence. Dans les faits, la transparence existe très peu dans les études notariales, mais ce n’est grave ! Simplement il ne faut pas inventer une valeur qui n’existe que sur papier glacé.


Le premier pilier de notre action, au cabinet, est donc de dire que le juridique n’est pas simplement là pour faire beau. Avoir des statuts et un pacte d’associés ne suffit pas. Notre deuxième pilier, c’est de dire aux professionnels qu’ils doivent se réapproprier les chiffres et la rentabilité de leur activité. Le troisième pilier, c’est le management (la manière de manager les équipes, de déterminer les tâches de chacun, le parcours d’association, les guides-lines pour approcher les clients,…). Le quatrième et dernier pilier sur lequel nous mettons l’accent chez nos clients, c’est la digitalisation : comment optimiser le process pour être le plus efficace possible et comment faire bénéficier les clients de cette digitalisation.

Quels sont les premiers conseils que vous donneriez à un notaire qui souhaite se démarquer dans son mode de fonctionnement ?


La première chose que je conseillerais à des notaires, c’est de s’extraire totalement de leur activité quotidienne pour s’inspirer des modèles qui n’existent pas chez les notaires. Il faut se plonger dans le monde de l’entrepreneuriat. Je tiens pour acquis que ce sont des bons professionnels : il faut donc qu’ils proposent autre chose que leur excellence juridique.


Ensuite, généralement, je questionne les associés sur la genèse de leur association. Il faut qu’ils soient très clairs sur ce qu’ils attendent les uns des autres, et sur pourquoi ils se sont associés. Si c’est parce qu’ils étaient amis, alors il faudra absolument préserver ce lien d’amitié car c’est l’un des principaux fondements de l’association. Une fois qu’on a l’histoire de l’association, on analyse les développements envisagés pour l’activité. C’est à ce moment qu’on identifie la clientèle cible, les services dédiés, la manière de les mettre en place, etc.


Il faut ensuite voir si ces deux réflexions se recoupent, se superposent ou sont très éloignées. Si on arrive au constat que les associés ont des activités communes, mais qui se développent de façon indépendante, pour que l’association perdure, il va falloir trouver des moyens juridiques pour bénéficier économiquement et en terme de rayonnement de l’activité. Cela passe par un document juridique : règlement intérieur, pacte,… Il faut réfléchir à la meilleure organisation économique pour que l’association fonctionne. Ce n’est pas du bullshit : il y a toujours un lien avec le juridique !



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