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Anciens notaires associés, ils sont désormais notaires salariés.
Ils ont été notaires associés pendant des années, et pourtant ils sont désormais épanouis en tant que notaires salariés. Une nouvelle preuve que dans le notariat les routes professionnelles ne sont pas aussi tracées que l’on pourrait le croire.

Lorsqu’on est diplômé notaire, on a tendance à s’imaginer un parcours professionnel « classique » : travailler comme notaire assistant quelques années, puis être nommé notaire salarié et à terme s’associer ou créer son étude. Mais la vie est rarement comme on l’avait imaginée. Bruno* et Loïc* en ont fait l’expérience.
Tous les deux proches de la soixantaine, anciens notaires associés, ils sont désormais notaires salariés et ne comptent pas s’associer. Ils reviennent sur leurs parcours et nous démontrent que le bonheur n’est pas toujours là où on l’attendait.
L’association n’est pas un long fleuve tranquille
Bruno et Loïc se sont associés jeunes, à 32 et 31 ans. A l’époque, le statut de notaire salarié n’existait pas encore. Ils n’avaient pas de famille dans le notariat, mais ils étaient tous les deux portés par une volonté de s’installer et d’exercer le métier qu’ils avaient choisi.
Loïc a été associé pendant 10 ans en Bretagne, tandis que Bruno s’est associé deux fois et a exercé pendant près de 20 ans comme notaire associé. Avec du recul, les deux notaires se rappellent de l’énergie de leur jeunesse qui leur a permis de tenir et d’affronter toutes les difficultés dans leur quotidien de notaire associé. Car des difficultés, ils en ont rencontrées !
Tous les deux évoquent le difficile équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Loïc raconte : « Je travaillais 6 jours sur 7. Mes enfants ne me voyaient pas le matin, et très peu le soir. Finalement, pour ma vie personnelle, je n’avais que le dimanche. Comme tous les notaires associés, je ne prenais jamais plus de 15 jours de vacances et la plupart du temps c’était 8 jours de temps en temps. ».
Même son de cloche du côté de Bruno : « Pendant au moins 15 ans j’ai pris très peu de vacances, même en famille. J’avais tout le temps la tête prise par mes dossiers, je me réveillais la nuit à cause de ça. Ça va quand on est jeune, mais au bout d’un moment on sature car la vie ce n’est pas que l’étude. »
« Je n’ai pas su gérer la gestion des conflits avec les collaborateurs parce que je n’avais aucune idée de comment ça devait se faire.»
À côté de ce déséquilibre vie pro / perso s’ajoutaient des difficultés propres à chacun. Ainsi, Loïc évoque sans hésitation la difficulté du management d’équipe : « Je n’étais pas préparé à la gestion d’entreprise, aux éventuels conflits avec des salariés … Et je m’y suis retrouvé confronté. Ça a été vraiment difficile. J’ai fait comme j’ai pu, c’est-à-dire que j’ai fait plein d’erreurs de management. ».
Selon lui, il n’était pas préparé aux problématiques de gestion de personnel : « Je n’ai pas su gérer la gestion des conflits avec les collaborateurs parce que je n’avais aucune idée de comment ça devait se faire. C’est un truc que j’ai complètement raté. Mon associé m’a laissé une situation particulière … Grosso modo, il m’a demandé, poussé même, à faire le ménage parmi les salariés et j’ai dû mettre des gens dehors. Je n’ai pas été particulièrement gentil. Ce n’est pas très glorieux. On ne se grandit pas en faisant ça. »
Au-delà du management d’équipe, Loïc a également fait de mauvaises découvertes après s’être associé : « J’ai découvert un nombre de comptes débiteurs faramineux, des pratiques très douteuses … J’ai dû mettre un peu d’ordre dans tout ça. Je ne me suis pas fait que des amis. Ça a été des moments difficiles. J’ai également découvert que la confraternité était un concept très théorique, et ça a été une vraie déconvenue, je ne m’y attendais pas. Mais avec l’énergie de mes 30 ans, je suis passé à travers tout ça. »
« Je n’ai jamais, contrairement à la majorité des notaires, travaillé dans une étude « riche ». Je n’ai jamais été à l’aise financièrement. Ça a donc toujours été pour moi un sujet d’inquiétude, même si cela ne m’a pas empêché de vivre.»
Pour Bruno, la principale difficulté tenait dans l’incertitude économique constante : « Je n’ai jamais, contrairement à la majorité des notaires, travaillé dans une étude « riche ». Je n’ai jamais été à l’aise financièrement. Ça a donc toujours été pour moi un sujet d’inquiétude, même si cela ne m’a pas empêché de vivre. J’ai vécu de nombreuses années où les 6 premiers mois, je devais payer 2/3 de mes charges, puis arrivait le printemps et le creux de la vague,… Si je ne faisais pas un report de taxes certains mois, nous avions trop de charges et je ne pouvais pas me payer. »
Quand des bouleversements remettent tout en question
Les associations de Loïc et de Bruno ont pris fin pour des raisons différentes, mais à chaque fois, l’humain y tenait une place très importante.
Pour Loïc, les raisons de la fin de l’association restent encore mystérieuses près de 20 ans plus tard. « À un moment, les relations avec mon associé se sont tendues sans que je sache pourquoi. Un jour, j’ai découvert qu’il avait fait un prélèvement sans qu’il soit comptabilisé. À partir de là, j’ai dit que je m’en allais et que je lui revendais mes parts. Je ne voulais pas être pris dans d’éventuels ennuis judiciaires. »
Bruno, quant à lui, a quitté sa première association de son plein gré. Son étude avait été nommée administrateur d’une autre étude en difficulté distante de 40 km. « Moi je ne savais pas ce que c’était qu’administrer une étude. Le problème, c’est que ce n’est pas rien. C’est déjà difficile quand on essaie de faire tourner sa propre étude, mais alors quand en plus il faut faire une heure de route pour essayer de gérer une deuxième… ». Ne se sentant pas soutenu par les instances, il a décidé de quitter l’étude : « A l’époque j’étais jeune et j’ai fait comme un coup de sang. Je leur ai dit « Démerdez-vous, je me tire ! ». C’était un peu inconscient, je ne savais pas où j’irais après, ni comment… C’est quand même à éviter ».
La fin de sa seconde association a, elle, été contrainte : « Mon associé s’est retournée contre moi. Ce n’était pas rationnel. J’avais beau lui monter les chiffres, le nombre d’actes, elle me disait que je ne faisais rien. Ce n’était plus possible de la raisonner. Je me suis dit « soit j’y laisse ma santé, soit je pars », et je suis parti. »
«J’aimais bien, car j’avais l’impression d’être ancré dans la société où je vivais. Les relations humaines étaient parfois rudes, mais c’était intéressant. »
Malgré ces dénouements compliqués, tous les deux gardent de bons souvenirs de ces expériences. « Mon quotidien, c’était un notariat proche des gens et des particuliers, et complètement généraliste. J’ai développé des branches qui m’intéressaient comme la gestion de patrimoine, la négociation immobilière,… J’étais dans une petite ville, et je suis devenu très vite assez connu. J’aimais bien, car j’avais l’impression d’être ancré dans la société où je vivais. Les relations humaines étaient parfois rudes, mais c’était intéressant. ». (Loïc).
Bruno pose lui aussi un regard positif sur ces vingts années : « Ça m’a toujours plu d’avoir une activité variée. Je n’avais pas une journée identique à une autre. Quand j’étais associé dans ma première étude, ça se passait très bien. Avec mon associé, on avait la même vision du travail. S’il n’y avait pas eu d’éléments extérieurs, je serais resté avec lui. »
Et pourquoi pas devenir … notaire salarié ?
Une chose est sûre : lorsqu’ils ont cédé leurs parts, ni l’un ni l’autre n’envisageait alors de devenir notaire salarié. Tous les deux ont cherché à s’associer dans différentes études, sans succès. Leurs expériences leur ont permis d’identifier des points susceptibles de devenir problématiques.
Loïc a quitté sa Bretagne natale pour la région parisienne. Dans une période personnelle compliquée, il a décidé de reprendre un poste de notaire assistant, l’étude où il travaillait ne souhaitant pas avoir de notaire salarié à l’époque. Il a été nommé notaire salarié quelques années plus tard.
Bruno était lui aussi en phase de recherche d’une association lorsqu’il a été contacté par un notaire titulaire. On lui a proposé de remplacer une collaboratrice en congé maternité : « Je me suis dis, tant qu’à faire, autant travailler plutôt que de ne rien faire. C’était une perspective de 6 mois seulement. Mais on s’est bien entendu, et à la fin il m’a proposé de rester. Quand j’ai accepté, il m’a parlé de sa volonté de me nommer notaire salarié. ».
« Lorsqu’on est notaire salarié, on ne subit plus la lourdeur de la gestion d’entreprise. Je n’ai plus d’emprunt professionnel, je n’ai plus l'œil rivé en permanence sur les compteurs comme quand j’étais associé. »
Lorsqu’ils évoquent leur quotidien de notaire salarié, Bruno et Loïc témoignent d’une certaine sérénité retrouvée. Pour Loïc : « Lorsqu’on est notaire salarié, on ne subit plus la lourdeur de la gestion d’entreprise. Je n’ai plus d’emprunt professionnel, je n’ai plus l'œil rivé en permanence sur les compteurs comme quand j’étais associé. Paradoxalement, je gagne mieux ma vie notaire salarié en région parisienne que notaire libéral en Bretagne. Je travaille autant, sinon plus, mais je me consacre à mes dossiers, à ma formation continue etc. J’ai quand même du mal à garder du temps pour ma vie personnelle. ».
Seule la liberté qu’il avait en étant son propre patron manque à Loïc. « Ce qui me manque, c’est le fait d’être complètement autonome et de pouvoir avoir mes clients. Le statut de notaire salarié est pour moi très ambigu : qu’est ce qui se passe si ma conscience professionnelle me dit de ne pas faire un acte, mais que mon employeur me dit de le faire ? »
Bruno est quant à lui pleinement épanoui dans son nouveau rôle : « J’ai la chance de continuer à faire de tout. Les seules choses que je ne fais plus, c’est la comptabilité et les formalités. Je suis un peu l’homme à tout faire de l’étude : je peux remplacer les patrons quand ils ne sont pas là, je suis aussi un rédacteur, et le Cridon de l’étude ! En même temps, quand on a de l’expérience, les jeunes se tournent vers vous pour l’aspect juridique, mais aussi humain. C’est parfois fatiguant de passer ainsi du coq à l’âne, mais j’aime bien ! Je fais de tout : de la rédaction, du conseil aux clients, aux collaborateurs, et parfois même aux notaires titulaires (rires) ! ».
« J’ai les bons côtés de la profession sans avoir les soucis que j’ai eu pendant une vingtaine d’années. »
Quand on l’interroge sur les différences notables par rapport à son quotidien de notaire associé, il répond sans hésitation : « Désormais je pars à 18h le soir, j’ai mes week-ends, j’ai mes vacances. Quand je rentre à la maison, je ne pense plus à l’étude ou aux dossiers. Je n’ai plus les soucis de gestion financière. Alors forcément je n’ai pas le revenu qui va avec mais bon ! C’est normal, la rémunération est liée à la responsabilité qu’on a. J’ai les bons côtés de la profession sans avoir les soucis que j’ai eu pendant une vingtaine d’années. Ça m’a suffit. Il y en a qui ne vivent que pour leur étude, c’est un choix. Mais moi j’ai une vie de famille. Il y a une vie en dehors du notariat. »
Finalement, il semblerait que l’épanouissement au travail n’est pas toujours lié à un poste à responsabilité que l’on visait depuis longtemps. Alors, si on arrêtait de se mettre la pression et qu’on prenait le temps d’apprécier pour tirer le positif de chaque étape ? En tout cas, Bruno et Loïc sont unanimes lorsqu’on leur demande s’ils ont des regrets : « À quoi bon regretter ? Il faut prendre la vie comme elle vient ! ».
*Les prénoms ont été modifiés.